À l’ère du phygital et de l’omnicanal, les interactions s’amplifient en même temps qu’elles se délitent. Les marques doivent se différencier via des offres et des plateformes qui captent l’attention des consommateurs et leur donnent l’envie d’y revenir. Pas étonnant donc que l’expérience client soit au coeur de leur stratégie marketing. Et puisque les outils numériques offrent la possibilité de collecter des données sur leurs utilisateurs, pourquoi ne pas capitaliser sur leur potentiel ? Les organisations des entreprises de marque sont-elles prêtes à écouter les données ? Décryptage.
Téléchargez l’intégralité de notre magazine dédiés aux experts UX :
Bien sûr l’attention portée à la satisfaction des clients fait partie de l’ADN d’une marque. Mais les coûts d’acquisition sont devenus élevés et chacune cherche à rentabiliser les conversions grâce à l’expérience client. Et dans un univers commercial multidimensionnel, où le web, le mobile et les app offrent des canaux de découverte et d’achat à portée de clic, saisir leur attention impose de trouver des leviers nouveaux. D’autant que les pure players et les marketplaces ultra rodées aux codes digitaux ont déjà développé de véritables armes de captation des consommateurs.
Alors oui, dans le monde physique, nombre d’acteurs ont massivement investi pour améliorer l’expérience client dans le point de vente. Dans ses magasins, la marque canadienne de vêtements de sport féminins Lululemon organise par exemple des cours de yoga. Les murs d’escalade des boutiques REI « incarnent » son ADN aventurier. Quand les cerisiers, fontaines et cours de méditation permettent à la marque néerlandaise Rituals de matérialiser l’expérience zen qu’elle veut offrir à ses clients.
« Dans ce monde, on a deux avantages. Un espace physique dans lequel on peut réellement faire ressentir. Et la présence d’un manager qui voit tout ce qui se passe, constate Jean-Marc Bellaiche, Chief Partnership & Strategy Officer chez Contentsquare. Mais en ligne, la plupart des acteurs sont complètement aveugles ».
DATA MA BIG DATA, DIS-MOI CE QUE VEULENT MES CLIENTS !
—
Les marques sont donc invitées à chausser des lunettes d’un nouveau genre. « Il ne faut pas oublier que le site d’e-commerce est, le plus souvent, le premier média des marques. C’est sur cette plateforme qu’on trouve tout ce qui la constitue, depuis les produits jusqu’aux contenus sur ses valeurs, ses équipes et ses engagements, avance Christel Hennion, directrice e-commerce et CRM international du groupe l’Occitane. Ainsi, plus on étendra l’aura autour de son site d’e-commerce plus le business général de la marque se portera bien ».
C’est ici qu’entrent en scène les immenses quantités de données engendrées par les flux omnicanaux des consommateurs. Elles demandent d’être collectées et analysées aux bons endroits, aux bons moments et en quantité suffisante pour révéler leur valeur en termes d’expérience client.
Aujourd’hui, la plupart s’appuient sur des outils comme Google Analytics ou Adobe Analytics. Mais s’ils permettent de traquer les clics sur un support digital, ils ne voient qu’en surface. Ils ne permettent pas d’avoir le détail des actions d’un utilisateur lors d’une visite : les pauses, la lecture d’un contenu, les scrolls, les zooms et dézooms ou les hésitations. « Si je continue le parallèle avec le monde physique et le store manager, les outils traditionnels de web analytics tracent très bien comment le client est venu sur le site (en faisant telle recherche, en ayant vu telle pub…). Ils fournissent les audiences et évaluent les shopping bags à la sortie. Mais ils ne rentrent pas vraiment dans le magasin, ils restent à l’extérieur », poursuit Jean-Marc Bellaiche.
En plus de ces données, les marques et les prestataires de services digitaux partent donc en quête d’autres données : en demandant à l’utilisateur de noter le parcours qu’il vient d’accomplir sur un site pour acheter un produit ou réserver un voyage, ou en sondant une nouvelle version d’une home page auprès d’un échantillon de clients référencés. Mais seules, ces données qualitatives offrent encore une vision limitée et biaisée. Car elles ne peuvent être collectées qu’auprès d’un nombre réduit de personnes, et le sont auprès de consommateurs qui savent qu’ils sont en condition de test.
“EN LIGNE LA PLUPART DES ACTEURS SONT COMPLÈTEMENT AVEUGLES.”
Un troisième type de données commence donc à mobiliser les experts et les marques : les données comportementales. « Elles concernent les gestes accomplis, les hésitations et frictions rencontrées par un utilisateur à chaque étape de sa visite. Grâce à une seule ligne de Javascript on peut enregistrer chaque milliseconde du parcours d’un client. Les gens ne savent pas qu’ils sont observés. Les données sont donc plus authentiques tout en restant anonymes bien sûr », explique Adrien Portejoie, Head of Professional Services Chez Contentsquare.
UN HORIZON D’ITÉRATIONS
—
Toutefois, collecter ces données et les structurer ne suffit pas. Encore faut-il ensuite être en mesure de les interpréter, pour comprendre comment est vécue la visite de chaque utilisateur, puis en faire des leviers pour prendre des décisions.
Découvrez le Hors-Série du Magazine de l’Expérience Digitale
> Comprendre les nouvelles attentes des consommateurs > Pérenniser ces évolutions
« Pour chaque projet de modification de nos sites et appli ou d’ajout de contenu, nous procédons en 5 étapes, révèle Florent de Champigny, Product, Content & Studio Director chez Pierre et Vacances Center Parcs Group. La collecte de données qualitatives, grâce au logiciel Testapic notamment qui permet d’interroger des clients à distance. La collecte de données quantitatives grâce à Google Analytics et des outils de Business Intelligence. La collecte de données comportementales ensuite grâce aux outils Contentsquare. Puis sur cette base, nous évaluons les potentiels d’amélioration ou marketing les plus impactants et nous procédons, en quatrième étape, à un AB Test. C’est le meilleur moyen d’être customer centric : on va laisser le client choisir à notre place. Très simplement on met une, deux ou trois versions d’une page ou d’un contenu et on observe le comportement de chaque client sur chacune pour finalement opter pour l’une ou pour l’autre. Puis on recommence, on itère en continu. »
« Ma mère disait toujours que l’UX était comme une partie de billard. On sait comment ça débute, on sait comment ça finit, mais impossible de prévoir ce que vont faire les boules entre temps »
« Chaque année nous mettons en vente des calendriers de l’avent sur notre site. Grâce aux données comportementales collectées, on s’est aperçu que les niveaux de clics et de visualisation n’étaient pas suffisants. Et l’outil d’analyse dopé à l’intelligence artificielle nous a suggéré d’inverser les calendriers. Cela peut sembler basique, mais grâce à cette simple modification on a gagné 135 % de taux de conversion ! », raconte, quant à elle, Christel Hennion. « On s’est aussi aperçu que les boutons les plus cliqués et les zones “chaudes” du site n’étaient pas les mêmes en fonction des régions du monde où ils étaient utilisés. Nous travaillons donc à optimiser l’expérience en fonction des spécificités géographiques et culturelles. »
En réalité dans un univers commercial phygital, il faut ajouter au travail de neurones « physiques » celui de neurones artificiels. Les données une fois compilées et traitées par des modèles entraînés livrent des messages assez clairs qu’il appartient aux marques de transformer en action ou non.
“LA PLUPART S’APPUIENT SUR DES OUTILS COMME GOOGLE ANALYTICS OU ADOBE ANALYTICS. MAIS S’IL PERMETTENT DE TRAQUER LES CLICS SUR UN SUPPORT DIGITAL, ILS NE VOIENT QU’EN SURFACE.”
Au départ, elles peuvent procéder à des optimisations tactiques. Évaluer par exemple qu’une zone est très mal placée, mais qui, une fois repérée, génère beaucoup plus qu’une autre zone. Ce qui invitera une marque à intervertir cette zone avec une autre pour en mesurer l’impact sur les utilisateurs de son site. De la même manière, l’analyse de données comportementales montre que le check out est un point de friction souvent déterminant dans l’expérience d’un client comme pour la conversion. Stop donc aux demandes de mots de passe tarabiscotés pour enregistrer une commande. Demandez-les une fois le paiement validé au moment d’informer le client sur sa livraison.
« TOUT CE QUE JE SAIS, C’EST QUE JE NE SAIS RIEN »
—
Derrière ces modifications, l’intention est claire : réduire les “pain points”. Mais pour passer à l’étape d’après et améliorer plus en profondeur l’expérience client, en la personnalisant notamment, deux exigences s’imposent aux marques. Verbaliser l’expérience qu’elles veulent véhiculer. Et, le plus difficile sans doute, modifier le partage de l’information, l’organisation et la prise de décision en interne pour devenir des entreprises data-driven au service du client.
Louis Vuitton et Renault par exemple ne voudront certainement pas proposer la même expérience. « Ce n’est qu’une fois qu’elles l’auront verbaliser que nous pourrons traduire en réalité approximée l’ensemble des comportements et les comparer avec les segments de population les plus proches de ce qu’attend la marque, souligne encore Adrien Portejoie. L’objectif sera donc ensuite de déplacer la population la plus éloignée du comportement idéal souhaité par l’entreprise pour maximiser le segment des plus satisfaits ».Il faudra aussi bousculer habitudes managériales et certitudes métiers. « Pour réussir à devenir customer centric grâce aux données, j’ai réorganisé les équipes et créé des squads pluridisciplinaires. Tous ont accès aux mêmes données, et peuvent ensuite proposer des idées, relate Florent de Champigny. Mais au final, après AB Test par exemple, ce ne sont pas les Sales qui ont décidé, ni les équipes Business, mais le client. Régulièrement la version qui l’emporte n’est pas celle pour laquelle nous penchions en interne. Faire du beau ou être tendance n’est pas suffisant. C’est ce que nous montrent les données ».
PERSONNALISER, VRAIMENT ?
—
Et demeure une question. En s’appuyant sur ces données qualitatives, quantitatives et comportementales, peut-on offrir des expériences personnalisées aux clients, un souhait largement verbalisé par les entreprises ?
La tâche n’est pas aisée. Car il fautoffrir l’équivalent d’un mur d’escalade ou d’une ambiance zen sur un support digital. « L’une de nos missions est de lutter contre une amazonification ou une prestashopisation des sites web. Quand on est aveugle, on a en effet tendance à aller vers les outils qui ont déjà fait leurs preuves et qui sont fonctionnels, explique Jean-Marc Bellaiche. Mais selon nous, il n’y a pas de formule magique qui imposerait de mettre tel bouton en haut à droite. L’objectif c’est d’enrichir les parcours : tout se base sur une compréhension ultra granulaire des comportements ».
Floue, par intermittence, et très peu nuancée : voilà la vision du comportement utilisateur dont il va falloir se débarrasser.
Pour ce faire, il faut donc une certaine maturité et une vision à long terme. L’intelligence artificielle, nourrie au machine learning, permet déjà d’identifier et d’exploiter des segments. Certains le font en se basant sur des profils types. Mais la même Charlotte, de moins de 30 ans aimant les articles de sport et se faire livrer son repas le soir, n’aura pas toujours la même intention en fonction du jour, de l’heure, du lieu où elle se trouve ou de son agenda.
« Nous préférons proposer aux marques d’établir des segments par intention d’usage. Une personne pressée cherchera une expérience fluide et rapide, tandis qu’une autre qui a le temps voudra certainement découvrir, s’informer et s’inspirer », estime Adrien Portejoie.
Pour Oui.Sncf par exemple, une observation granulaire des usages du site a montré que la variable temps était clé. Une donne qui permet d’imaginer offrir des conseils de visite, une escale ou une réservation d’hôtel à un voyageur rentrant des dates de recherche de train éloignées de un ou deux mois. Ou au contraire ne pas l’encombrer de ces suggestions et lui fournir les informations pour acheter au meilleur tarif et rejoindre rapidement un quai si sa recherche concerne le jour même.
“IL N’Y A PAS DE FORMULE MAGIQUE QUI IMPOSERAIT DE METTRE TEL BOUTON EN HAUT À DROITE. L’OBJECTIF C’EST D’ENRICHIR LES PARCOURS : TOUT SE BASE SUR UNE COMPRÉHENSION ULTRA GRANULAIRE DES COMPORTEMENTS. ”
Mais l’amélioration de l’expérience client ne se fera ni en une fois, ni de façon définitive. Avant de pouvoir disposer de technologies de sites modulaires qui s’adapteraient en temps réel à l’utilisateur et ses envies, il faudra miser sur une veille et des actions en continu. « Cela implique de nous approprier nos données et d’avoir les moyens de les collecter, de les protéger et de les analyser dans une organisation interne adaptée. Car ces données sont à la fois notre asset et notre fonds de commerce, assure Christel Hennion. Mais les outils digitaux et les potentiels du numérique évoluent si vite, qu’il faut aussi savoir s’appuyer sur des plateformes et des experts externes. Il nous coûterait trop cher d’adapter en permanence nos outils. Surtout, les plateformes externes étant utilisées par plusieurs marques, elles permettent des évolutions auxquelles on n’aurait pas forcément pensé. On aurait donc tort de se passer de cette intelligence collective ».